LE JAZZ A SA TRIBUNE.
édition du 18 octobre 2015 // Citizenjazz.com / ISSN 2102-5487
CHRONIQUE

CARRIER / LAMBERT / MAZUR

UNKNOWABLE

 François Carrier (as), Rafał Mazur (b) Michel Lambert (dms)
 Label / Distribution : Not Two Records

La ligne de force qui relie depuis des années le saxophoniste François Carrier et le batteur Michel Lambert est devenue, au fil du temps, un axe structurant de l’improvisation mondiale. Il suffit de regarder quelques instants dans le rétroviseur des collaborations communes. De Steve Beresford à Bobo Stenson, du quartet au duo, on les retrouve toujours dans un face-à-face qui n’a rien d’exclusif mais tout de la ligne de crête. Une interaction dense et vigoureuse qu’on a pu récemment goûter sous forme brute avec IO, simple expression du duo ; une raucité qu’on retrouve ici sur « Springing Out », augmenté des méandres bouillonnants des cordes de Rafał Mazur et particulièrement patente lorsque Carrier se saisit de son hautbois chinois.

La présente rencontre avec ce bassiste (qu’on a déjà pu entendre avec Ève Risser ou Keir Neuringer) est une nouvelle aventure du duo canadien. Une incursion en territoire polonais qui illustre précisément leurs pérégrinations régulières dans l’est de l’Europe, marquées par les enregistrements avec le pianiste Alexei Lapin. Ce trio-ci est plus anguleux, plus urgent. « Listening Between », qui ouvre l’album, en est le symbole, avec une batterie extrêmement sèche dont le métal des cymbales sonne comme une masse pleine pour mieux griffer les rodomontades de l’alto. Au milieu de cette relation privilégiée, Mazur est insatiable sans jamais être bavard ; il habille la gestuelle de Lambert tout en rendant coup pour coup au soufflant. La solidité est frappante, mais elle peut être battue en brèche à chaque instant.

« Unknowable » définit bien le propos du trio, qui touche à une réflexion quasi philosophique sur l’improvisation. Car on connaît trop bien la musique du duo canadien pour dire que ce disque est un saut dans l’inconnaissable. L’écoute est familière, même si la basse apporte une grande fraîcheur. Mais il y a une dose d’imprévisible qui donne à tout ceci le goût de la nouveauté et de l’excitation. On n’en demande pas plus.